La chasse aux communistes sous Vichy

Publié le par Henri-Ferréol BILLY

Petit article, sans grande prétention, sur la chasse aux communistes pendant le régime de Vichy. Le sujet est vaste et mériterait d'être étudié plus en profondeur.


De 1939 à début 1941, les communistes pris entre deux feux :

Plutôt Hitler que le Front Populaire

Titre d'un chapitre du livre de Serge COMBRET : Auvergne, j'écris ton nom résistance (1994)

Ce titre, qui peut paraître assez violent, était cependant une réalité dans la France de 1939.

Ainsi Robert PAXTON explique :

Les conservateurs avaient changé leur fusil d'épaule entre 1934 et 1936. L'ennemi numéro un à l'extérieur n'était plus l'Allemagne mais l'Union Soviétique, et à l'intérieur, non plus les pacifistes mais le Front Populaire qui réarmait. [...]
En politique extérieure, un accord militaire avec l'URSS, qui s'imposait pourtant, était exclu, parce que les adversaires du pacte franco-soviétique avaient déclaré à la Chambre en février 1936 qu'une coopération avec l'armée rouge encouragerait le parti communiste et légitimerait ses activités. C'est en fait que l'on n'osait pas dire, sauf à mots couverts, que Hitler était le meilleur rempart contre Staline [...].

Robert PAXTON, La France de Vichy, 1999 (rééd.), pages 296 et 301

Le 23 juillet 1939 l'Union Soviétique propose à la France et à l'Angleterre d'engager des pourparlers militaires. Le 4 août 1939, l'ambassadeur d'Allemagne s'inquiète du risque d'une signature entre les trois pays, mais les discussions s'enlisent. Finalement l'URSS signe un pacte de non-agression avec l'Allemagne le 23 août 1939 afin de gagner du temps pour renforcer son potentiel militaire.

La signature de ce pacte sonne l'heure de la chasse aux sorcières pour les communistes français. Le 26 septembre 1939, les organisations communistes sont dissoutes et la presse communiste est interdite. Début octobre 1939, un mandat d'arrêt est lancé contre les députés communistes qui avaient créé un nouveau groupe parlementaire. Du 20 mars au 3 avril 1940 eut lieu le procès de 44 députés communistes qui furent condamnés à la peine maximale : 5 ans de prison et perte de leurs droits civils et militaires. Pendant ce temps des centaines de communistes sont arrêtés.

La signature du pacte germano-soviétique avait semé le trouble au sein du Parti, le plaçant en porte-à-faux vis-à-vis de la base et des autres formations. Après la défaite, des émissaires du Parti renégocièrent la parution de L'Humanité et les militants furent encouragés à vivre à visage découvert (ce qui fut fatal à un certain nombre d'entre eux). Le Parti maintient cependant une direction clandestine.

Document saisi en février 1941 chez Henri LEFORT et couvert d'annotations

Document saisi en février 1941 chez Henri LEFORT et couvert d'annotations

Le basculement de printemps 1941 :

Début 1941, la presse communiste commence à s'attaquer à l'Allemagne nazie. Le 26 avril 1941, le Komintern enjoint le PCF de créer un Front National de lutte pour la libération et l'indépendance. Le 22 juin 1941, l'Allemagne déclenche le plan Barbarossa et envahi l'URSS : le PCF clandestin bascule alors complètement dans la Résistance. Vers août 1941, sont créés les Francs-Tireurs et Partisans Français, un organe militaire pour lutter contre l'occupant et les collaborateurs.

La réaction du gouvernement ne se fait pas attendre. Au sein des cours martiales sont créées par décret antidaté au 14 août 1941 (le texte est en fait rédigé le 22 août...) des sections spéciales chargées de faire preuve de rigueur contre les anarchistes et les communistes. Le décret fait suite à l'acte de Pierre GEORGES (futur colonel "Fabien") qui abat le 21 août un soldat allemand. Dès le 28 août trois communistes sont fusillés.

Le 28 septembre 1941 le commandant de la Wehrmacht publie un code des otages qui demande l'établissement de listes qui comprendront :

a) les anciens élus des organisations communistes et anarchistes, ainsi que les permanents ;
b) les personnes qui se sont adonnées à la diffusion de l'idéologie communiste par la parole ou par les actes, par exemple par la rédaction de tracts (intellectuels) ;
c) les personnes qui ont montré par leur comportement qu'elles étaient particulièrement dangereuses (par exemple, agresseurs de membres de la Wehrmacht, saboteurs, receleurs d'armes) ;
d) les personnes arrêtées pour distribution de tracts ;
e) les personnes arrêtées récemment à la suite d'actes de terreur ou de sabotage en raison de leurs relations avec l'entourage des auteurs supposés desdits actes.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Repr%C3%A9sailles_apr%C3%A8s_la_mort_de_Karl_Hotz#cite_note-13

Un militant communiste abat un allemand le 20 octobre 1941. La répression est immédiate : 48 otages sont fusillés le 22 octobre (27 à Chateaubriant, 16 à Nantes et 5 au Mont-Valérien) puis 50 le 24 octobre à Bordeaux. Sur les 48 fusillés du 22 octobre, on compte 31 communistes ou militants syndicaux parmi lesquels Guy MOCQUET et Jean-Pierre TIMBAUD.

L'exemple des communistes dans l'Allier (1940-1943) :

Le 8 octobre 1940, une quarantaine d'entre-eux sont arrêtés et envoyés au camp d'internement de Nexon (Haute-Vienne). Une partie d'entre-eux (trois) seront jugés et d'autres (sept plus précisément) seront déportés en Algérie. La Police nationale indique en juin 1941 que Montluçon figure parmi les centres les plus importants de propagande communiste avant Marseille et Toulouse.

Le contenu des différents dossiers de la côte 996 W aux archives départementales de l'Allier est éloquant : deux gros dossiers ("communisme 1" et "communisme 2") sont consacrés aux communistes (pour comparaison les socialistes ont simplement droit à une sous-côte dans un des deux dossiers), et les dossiers "lutte armée", "propagande-répression" et "surveillance individuelle" ne laissent que peu de doute sur qui est l'adversaire n°1 du régime. Un dossier "maintien de l'ordre" contient la "liste des individus inscrits au fichier "S" [pour surêté de l'Etat] qui feront l'objet des arrestations préventives". Cette liste, datée de 1943, contient 46 noms d'hommes dont le plus jeune a 23 ans (tous les autres ont plus de 31 ans) et le plus âgé 63 ans. Sur ces 46 hommes, nous n'avons pu obtenir des informations complètes que sur 21 d'entre eux qui, sans surprise, sont tous communistes ou apparentés. Parmi eux :

-6 ont été internéés au camp Nexon fin 1940,

-6 ont fait partie des FTP de façon certaine,

-3 sont morts en déportation (dont le responsable FTP Louis BAVAY, 53 ans, considéré comme "très dangereux") et 2 ont eu des membres proches (femme ou fils) déportés.

Le dossier "surveillance" contient des listes (qui apparemment ne valent que pour la région de Vichy) dressées en 1943 et destinées à la constitution d'un sommier politique. Si ces listes contiennent 26 noms de francistes et de membres du PPF (dont certains seront condamnés à la Libération), elles contiennent également, sans grande surprise, les noms de 89 communistes dont quelques-uns feront partie des FTP.

Document saisi en février 1941 chez Henri LEFORT

Document saisi en février 1941 chez Henri LEFORT

Une note de 14 pages, datée d'octobre 1940, sur "le communisme dans les centres de Montluçon-Commentry" livre quelques informations intéressantes. Ainsi, en janvier 1939, le PCF de l'Allier comptait 2.400 membres militants répartis en 155 cellules (115 locales ou de quartier et 40 d'entreprises). La note donne, bien évidemment, les noms de 47 communistes notoires de Montluçon et Commentry ainsi que leurs biographies.

A ces documents il faut rajouter les nombreuses fiches et listes figurant dans le dossier "surveillance individuelle", le summum étant sûrement le cahier "ABC" des RG recensant les principaux communistes parmi lesquels on retrouve de futurs FTP de la 4e Compagnie FTP de l'Allier, notamment : Paul BILLY, Marcel GALOIS, Lucien JONIN, Henri LEFORT et Jean SERIEUX.

Signalons quelques perquisitions de futurs membres de la 4e Compagnie FTP :

-le 4 février 1941, suite à une distribution de tracts la nuit précédente à Cusset, le domicile de Marcel CHAUTARD (futur membre du camp Dionnet) est perquisitionné car il est « signalé [...] comme communiste d'une grande activité et très suspect. »

-Henri LEFORT, futur responsable FTP, est également surveillé. Son fils Marc, étudiant à la faculté de Clermont-Ferrand, est arrêté le 31 janvier 1941 pour propagande contre le gouvernement Pétain, condamné à un an de prison et déporté en camp de concentration en Corrèze. Le domicile d'henri LEFORT est perquisitionné dans la foulée. Henri LEFORT est arrêté mais il sera relâché le 1er février. Le 2 février les policiers mettent sous scellés différents documents des années 30 (que nous avons reproduit dans l'article) saisis lors de la perquisition. Une note de police du 19 février 1941 indique : « LEFORT Marc, y demeurant [à Cusset], 10 cours Lafayette, est fils d'un instituteur, LEFORT Henri, connu avant les hostilités, comme communiste notoire. Le fils est également susceptible de mener une activité subversive. »

Une action des plus spectaculaires des communistes sera la participation avec d'autres mouvements à la manifestation du 6 janvier 1943 à Montluçon.

La surveillance des communistes est donc bien là, mais la résistance au sein du giron des FTP suivra.

Sources :

Archives départementales de l'Allier : côte 996 W (qui contient plusieurs dossiers nommés mais non côtés)

Association Bourbonnaise des Amis du Musée de la Résistance Nationale, Montluçon le 6 janvier 1943, la mobilisation contre le départ des requis, 2014

COMBRET Serge, Auvergne, j'écris ton nom, Résistance, 1994

FALLUT Robert, Naissance de la Résistance Armée en Allier

PAXTON Robert, La France de Vichy, 1999

SEREZAT André, Et les Boubonnais se levèrent, 1986

SEREZAT André, De Vichy à Valmy, 1995

TILLON Charles, Les FTP, témoignage pour servir à l'histoire de la résistance, 1962

WIEVIORKA Olivier, Histoire de la résistance, 2013

Mots clés : Résistance ; PCF ; communistes ; département de l'Allier ; 1940 ; 1941 ; FTP ; Francs-Tireurs et Partisans

Cet article a finalement été intégré dans une série de chapitres dont voici le suivant :

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(mise à jour le 18 décembre 2016)

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