Les fonctionnaires de l'État français (1940-1944) - partie II 2)

Publié le par Henri-Ferreol BILLY

5e et dernier épisode de la série. Retrouvez l'article précédent ci-dessous :

II-2) "Servir ou désobéir ?"

Malgré l'occupation, la DST (Direction de la Sûreté Territoriale) a continué son activité en sous-main entre 1940 et 1942 à la fois contre les allemands et contre les anglais ou gaullistes. Après l'invasion de la zone « non occupée » le 11 novembre 1942, le service est dissout et ses agents dispersés. Si certains ont été recyclés dans la Police Nationale, d'autres ont dû se cacher pour éviter d'être arrêtés par les Allemands. Des services dédiés chargés de la traque des communistes, les Brigades Spéciales, se montreront diablement efficaces dans la répression comme contre les FTPMOI de Paris dirigés par EPSTEIN et MANOUCHIAN. Les GMR ont notamment pour but de mener des opérations anti-maquis comme dans la montagne bourbonnaise le 23 février 1943. Enfin, les policiers ou gendarmes seront chargés de la surveillance des camps d'internement où s'entassent des « indésirables » (Mons, Gurs,...), de mener des rafles de juifs (billet vert, Vel' d'Hiv...) suite aux accords OBERG/BOUSQUET, d'arrestations en application d'arrêtés préfectoraux d'internement, procéderont à des arrestations de résistants lors d'enquêtes judiciaires ou de réfractaires STO.

Ces différentes actions de police amèneront un retour de balancier. A Londres, les gaullistes dressent des listes noires de policiers dont les noms sont cités sur Radio Londres, ce qui sèmera le trouble notamment des rangs des BS. A Paris, on note des policiers tués au cours de leurs missions (comme le gardien de la paix Lécureuil le 7 janvier 1942) ou des GMR tués au cours de combats. Le 22 décembre 1943 un groupe attaque « le Commissaire de la Police Centrale de Montluçon NOUVET [qui sera] sérieusement blessé. [les FTP espèrent] que cet avertissement lui montrera tout le danger qu'il y a à dénoncer et pourchasser les patriotes ».

En réponse, et pour préparer la Libération, dès le 8 janvier 1942, la France Libre « enjoint aux fonctionnaires et aux magistrats de rejoindre Londres, ou s’ils ne le pouvaient pas, de demeurer à leur poste et de saboter les ordres de l’ennemi ». La France Libre se dota également en août 1943 d'une commission d'épuration.

 
Les fonctionnaires de l'État français (1940-1944) - partie II 2)

La dissolution de l'armée d'armistice entraînera en réaction la création de réseaux de résistance au sein de l'armée comme AS/ORA (Armée Secrète / Organisation de Résistance de l'Armée). Nombre de militaires, après avoir caché des stocks d'armes de l'armée, serviront de cadres aux maquis de réfractaires comme Tom MOREL au maquis des Glières.

Des agents de police mettront également en place des résistances plus « passives » en prévenant des juifs de rafles, en prenant contact avec des réfractaires ou en faisant de faux papier. Au sein de la Préfecture de police de Paris sont créés des mouvements de résistance comme Honneur de la police ou Libération police. Plus largement, on trouve le NAP (noyautage de l'administration publique) chargé d'infiltrer les administrations.

La Régime de Vichy tient compte du danger. Ceux qui avaient rejoint Londres s'étaient vus retirer la nationalité française comme DE GAULLE par décret du 8 décembre 1940 en application de la loi du 23 juillet 1940. Le 20 septembre 1942, Le progrès annonce que le gouvernement a autorisé « le chef du gouvernement à faire relever de leurs fonctions directement et sans autre formalité tout fonctionnaire civil ayant manqué à ses devoirs ». La mesure étant étendue aux postes « conférés ou agréés par l'autorité publique ». Des mesures plus radicales seront également prises contre certains agents « réfractaires » ou supposés avec plus ou moins de fermeté.

Conclusion

Sous le Régime de Vichy, la fonction publique semble prendre un certain « envol » face aux besoins. On passe ainsi de 870 000 fonctionnaires en 1937 à entre 900 et 950 000 fonctionnaires en 1942 (1,6 millions en comptant les communaux). Entre 1941 et 1946, l'augmentation serait de l'ordre de 26%. Selon l'ancien directeur du cabinet de PETAIN, « trop de fonctionnaires qui multipliaient les lois, ébauchaient les sanctions, noyaient le pays dans un déluge réglementaire », le parlement n'étant plus là pour faire contre-poids.

Sous ce nouveau Régime anti-républicain, certains fonctionnaires seront obligés de faire des choix de conscience tout en ayant des possibilités de carrière rapide. Certains devront se « recycler » sur d'autres fonctions. Notamment suite à l’armistice.

Le Régime pose aussi une base juridique pour l'avenir avec le premier statut des fonctionnaires ouvrant la voie à un autre statut et à d'autres définitions du fonctionnaire.

Enfin, la période de Vichy aura des conséquences pour certains fonctionnaires qui subiront l'épuration à la Libération.

Bibliographie

Ouvrages

-Jean-Pierre AZEMA et François BEDARIDA, Vichy et les Français, Fayard, 1996

-Marc-Olivier BARUCH, Servir l'État français, l'administration en France de 1940 à1944, Fayard, 1997

-Marc-Olivier BARUCH, « Vichy, les fonctionnaires et la République » dans Marc-Olivier BARUCH et Vincent DUCLERT (dir.), Serviteurs de l'État : une histoire politique de l'administration française, 1875-1945, La Découverte, 2000, pp. 523-538

-Jean-Marc BERLIERE et Laurent CHABRUN, Les policiers français sous l'Occupation, Perrin, 2009

-Pierre BODINEAU, « L'exclusion des juifs de la fonction publique, l'exemple de la Côte-d'Or » dans Le droit antisémite de Vichy, Seuil, 1996, pp.327-335

-François BROCHE, L'armée française sous l'Occupation, Tome 1 : la dispersion, Presses de la cité, 2002

-Gérard CHAUVY, Le drame de l'armée française : du front populaire à VichyPygmalion, 2010

-Jacques CHEVALLIER, « L'épuration au Conseil d'État », dans Le rétablissement de la légalité républicaine, Éditions Complexes, 1996, pp.447-460

-Michèle COINTET, Vichy capitale, 1940-1944, Perrin, 1993

-Michèle COINTET, Nouvelle histoire de Vichy, Fayard, 2011

-Cécile DESPRAIRIES, L'héritage de Vichy, Colin, 2012

-Jean LEVY et Simon PIETRI, De la République à l'État français, le chemin de Vichy (1930-1940), L'Harmattan, 1996

-Laurent JOLY, L'antisémitisme de bureau, enquête au cœur de la préfecture de Police de Paris et du commissariat général aux Questions juives (1940-1944), Grasset, 2011

-Laurent JOLY, Vichy dans la solution finale, histoire du commissariat général aux Questions juives, Grasset, 2006

-Denis PESCHANSKI, « La confrontation radicale. Résistants communistes parisiens vs Brigades spéciales », dans Les Résistances, miroir des régimes d'oppression, Allemagne, France, Italie, François MARCOT et Didier MUSIEDLAK (dir.), Presses Universitaires de Franche-Comté, 2006, pp.305-349

-Maurice RAJSFUS, La police de Vichy, les forces de l'ordre françaises au service de la Gestapo 1940/1944, Le cherche midi, 1995

-Gérald SIMON, « L'administration de l'antisémitisme » dans Le droit antisémite de Vichy, Seuil, 1996, pp.307 à 325

Articles de revue

-Claude d'ABZAC-EPEZY « Épuration, dégagements, exclusions. Les réductions d'effectifs dans l'armée française (1940-1947) », dans Vingtième Siècle, revue d'histoire, n°59, juillet-septembre 1998, pp. 62-75

-Nathalie CARRE DE MALBERG, « Les fonctionnaires (civils) sous Vichy : essai historiographique », dans Histoire@Politique, vol. 2, no. 2, 2007, pp. 12-12

-Bernard LAGUERRE, « Les dénaturalisés de Vichy (1940-1944) », dans Vingtième Siècle, revue d'histoire, n°20, octobre-décembre 1988, pp. 3-15

-Guy THUILLIER, « Le statut des fonctionnaires de 1941 », dans La revue administrative, 32e année, n°191 (septembre octobre 1979), pp. 480-494

Mémoire

-Stéphanie CALCAGNI, Éducation et enseignement sous le régime de Vichy 19401944, mémoire, IUFM de Laval, 2013

Sites internet

-https://maitron.fr/ 

-https://gallica.bnf.fr/

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