Journal d'une pétainiste

Publié le par Henri-Ferreol BILLY

En fin d'année dernière j'avais pris connaissance de la parution d'un livre assez particulier puisqu'il s'agit d'un journal écrit sous l'Occupation par une partisane du régime de Vichy, Monique GUYOT.

Le découvreur est l'historien Philippe LABORIE que j'ai contacté en décembre.

Il m'a autorisé à publier des extraits de la présentation de son livre pour une conférence (annulée) qui était prévue aux AD de l'Isère en novembre 2020. Sa présentation explique la découverte, sa démarche et le contexte de rédaction du journal.

Je le remercie pour sa confiance.

Présentation de son livre par Philippe LABORIE :

Le goût de l’archive

En premier, le goût de l’archive, le goût de la recherche. Ce plaisir sans pareil que de passer des heures à se plonger dans les textes du passé, des bouts d’histoire griffonnés sur des papiers, débusquer des artéfacts du passé déposés au fonds des boîtes, dans des pochettes serrées par de petits cordons de fils comme autant de trésors à découvrir, déplacer des montagnes de documents avec au départ un but, une idée et découvrir parfois ce qu’on n’attendait pas, là où on ne l’attendait pas. C’est ce qui m’est un peu arrivé le 14 février 2017 à Grenoble. Depuis des années, mes recherches s’orientaient vers la compréhension des représentations mentales. Pourquoi les hommes et les femmes ont-ils à une époque particulière pensé et agi de la sorte ? Quelles sont leurs représentations du monde qui les entoure ? Comment ont-ils vécu l’Histoire et comment ont-ils interprété les faits qui leur sont contemporains ?  [...]

Journal d'une pétainiste

L’enquête

Une nouvelle période débutait, celle que j’aime le plus, la recherche historique. Une aventure scientifique, où l’on essaye de collecter des éléments afin de les analyser et de créer du sens. Contextualiser les propos de l’auteur, confronter le journal de Monique Guyot avec les écrits contemporains et les études scientifiques en lien avec le sujet. Cette enquête de presque 2 ans, a débuté évidement par la transcription des phrases de Monique Guyot, exercice bien connu de l’historien de déchiffrer les mots sans se tromper, exercice assez périlleux car nécessitant de vérifier les très nombreux toponymes et noms de familles souvent mal orthographiés par l’auteur. [...]

L’histoire du revers de la Médaille

Monique Guyot est née en 1906, elle a 38 ans quand elle écrit son journal, elle tient avec sa mère une pension d’enfants à Villard-de-Lans (plein air et activités) depuis 1934. Elle est célibataire, née à Voreppe d’une famille ayant des terres en Tunisie où vit encore sa sœur ainée Paulette dont le fils [...], filleul de Monique Guyot sera arrêté par la Gestapo en janvier 1944 (début du journal). Les frères de l’auteure sont tous deux engagés dans la guerre contre l’Allemagne : Robert l’aîné au côté du général Leclerc et Humbert le cadet comme agent de liaison entre les maquis proches de Grenoble. C’est d’ailleurs principalement pour ce frère que Monique Guyot écrit son journal pour lui « ouvrir les yeux » sur les véritables buts de la Résistance, elle pense que certains résistants veulent profiter de la situation en 1944 pour créer une guerre civile qui aboutirait à une Révolution sociale contre les valeurs défendues par le Maréchal et permettant selon elle aux idées judéo-bolcheviques de triompher, aux puissances étrangères de nous dominer. [...]

Ce journal nous permet aussi de mieux comprendre l’influence considérable de la propagande de la radio et de la presse de cette époque. Véritable guerre par médias interposés, les idées de Monique Guyot sont bien imprégnées par ce qu’elle lit et écoute. Son journal révèle ses certitudes, ses doutes mais aussi les interprétations qu’elle a des faits, ainsi le pétainisme dont elle se revendique comprend des traits personnels (elle admire Henriot et ne supporte pas la Collaboration, elle déteste la Résistance et souhaite que les Allemands s’en aillent), et des traits communs (elle admire Pétain comme le seul chef légitime défenseur des vraies valeurs face à la menace des Francs-maçons, communistes et juifs). A travers l’étude de ses écrits on perçoit la pénétration des idées et leur évolution dans le temps grâce à l’étude des corrections postérieures que l’auteure a pu faire dans les années 1980 (ce qu’elle a rajouté et ce qu’elle a barré) Ces idées n’ont que peu varié à la fin de la guerre comme le prouve le courrier placé à la fin de l’ouvrage où elle rappelle sa fidélité au Maréchal et son dégoût pour les orientations du RPF qu’elle quittera rapidement. Finalement elle consacrera le reste de sa vie à s’occuper de son fils et de ses petits-enfants à St Ismier abandonnant les cahiers de son journal dans une armoire à linge puis à un historien qui les enfermera pour 30 ans dans une boîte avant qu’ils ne réapparaissent à nouveau comme si une page de l’histoire ne s’était pas encore totalement tournée. Une mémoire interdite, une mémoire vive qui aujourd’hui fait partie de l’Histoire.

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