Interview de Vanessa MICHEL

Publié le par Henri-Ferreol BILLY

L'auteur

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Peux-tu te présenter ?

    Je suis artiste : peintre et écrivain. J’ai commencé les recherches historiques il y a une quinzaine d’années et j’ai publié (avant celui sur Georges MATHIEU), deux ouvrages sur deux actions situées à Clermont-Ferrand pendant la Seconde Guerre. Le premier, paru en 2015, était consacré à  l’attentat de la Poterne du 8 mars 1944, réalisé par des membres de la 1ère compagnie sédentaire F.T.P.F., et surtout aux représailles allemandes qui ont suivi (les plus importantes perpétrées dans la région durant toute l’Occupation). Le deuxième concernait l’opération F.T.P.F. dite du « Milliard de la Banque de France », somme récupérée en gare de Clermont-Ferrand par des résistants F.T.P.F. le 9 février 1944  (2019).
    J’avais emménagé dans la capitale auvergnate pour mes études à l’école des Beaux-arts et j’y suis finalement restée 20 ans !

Peux-tu présenter ton nouvel ouvrage ? 

    Le livre retrace l’itinéraire de Georges MATHIEU, le plus grand collaborateur français du Puy-de-Dôme, condamné à mort à la Libération. Ancien « démissionnaire » saint-cyrien, étudiant et résistant, il est intégré au Sonderkommando de Clermont-Ferrand à l’automne 1943 et devient chef de « l’équipe française de la Gestapo de Clermont-Ferrand » à partir du printemps 1944 – celle-ci comprend Jean VERNIÈRE (fervent collaborateur, anticommuniste et antisémite) ainsi que Louis BRESSON (ancien résistant du réseau Jade-Fitzroy) et Paul SAUTAREL. Et il est inutile de préciser que les Français n’ont rien à envier au sadisme de certains agents allemands du SD.

    MATHIEU est officiellement retourné par les nazis après son arrestation et celle de sa compagne, Christiane CUIROT, en octobre 1943. J’émets l’hypothèse qu’il ait pu travailler pour le SD. avant cela. Il aurait dans ce cas infiltré une ou plusieurs des différentes organisations de Résistance dont il a rapidement gravi les échelons (mouvement Combat-Étudiant, réseau de renseignements Mithridate, puis les M.U.R. d’Auvergne).

    La rafle de l’Université de Strasbourg du 25 novembre 1943, au cours de laquelle MATHIEU trahit ses anciens camarades et professeurs et participe de manière active au tri des personnes à appréhender, est évidemment déroulée dans le détail.
    Il admet avoir participé à 200 arrestations « au moins ». Les affaires les plus « connues » (expédition contre Saint-Maurice, rafle de Volvic, attaque du maquis de l’Enseigne (dans le Cantal), capture du successeur de Jean MOULIN : Jacques BINGEN et son suicide avenue de Royat) côtoient les moins transmises (l’affaire Mithridate - 61 déportés retrouvés), la Grande rafle d’employés et résistants du Service des Transmissions et de la Signalisation,  S.T.S. (36 déportés retrouvés). La plupart des organisations ont eu affaire à MATHIEU puis son équipe : M.U.R., F.T.P.F., membres de la Résistance P.T.T., S.N.C.F., S.T.S., agents de renseignements des réseaux Mithridate, Alibi, Jade-Fitzroy, sédentaires, maquisards… La table des matières donne un bon aperçu des affaires traitées :

Des encarts émaillent également le livre (destins de résistants, parcours de collaborateurs français, d’agents allemands du SD…) et une annexe sur Robert GOTHRY (qui a aidé de nombreux patriotes français) figure en fin d’ouvrage.
    J’ai particulièrement recherché les déportés (jamais dénombrés) par opérations étudiées, de manière à pouvoir fournir des listes les plus exhaustives qu’il m’a été possible (environ 300 personnes, la plupart résistants mais certains aussi otages ou déportés car ils étaient Juifs).

    Tu me demandes à quel public « Georges MATHIEU de Saint-Cyr à la Gestapo » s’adresse.  D’après les retours que j’en ai, l’ouvrage intéresse aussi bien certains chercheurs qu’un public moins « scientifique », celui pour lequel j’ai rédigé notamment les encarts, allégé les notes etc… afin de faciliter et de rendre « agréable » la lecture,  tout en conservant naturellement la rigueur nécessaire à la réalité historique.
    Mon objectif premier étant la transmission, il est vraiment accessible à tous ceux que la Seconde Guerre (locale) intéresse – contrairement peut-être à mon précédant ouvrage.
    Il est à noter pour les descendants qui s’interrogent sur la possible évocation d’un ancêtre, qu’ils peuvent consulter l’index mis en ligne :

Ou me contacter (v-michel[at]sfr.fr).

Interview de Vanessa MICHEL

D'où te viens ta passion pour cette période ?

    J’ai commencé à me passionner pour la période vers mes 13-14 ans je pense, au départ par le biais de la déportation, puis de l’Occupation et de la Résistance – je suis nettement moins intéressée par le point de vue « militaire » de la période.
    Je suis attachée au côté humain de cette époque, où l’on peut se projeter et où rien n’est tout à fait noir ou blanc, et je demeure par ailleurs extrêmement sensible à la transmission de la Seconde Guerre locale, celle des gens « ordinaires », souvent restés inconnus, qui ont fait l’Histoire et choisi de résister de différentes manières.
    Je reste un peu obnubilée par ce qu’on appelle le « devoir de mémoire » et j’essaye de d’œuvrer à mon échelle pour la reconnaissance des victimes, notamment des déportés (je passe beaucoup de temps à essayer d’en retrouver, même s’il s’agit souvent seulement d’un nom).
    J’ajoute, car on me le demande souvent, qu’il n’y a pas eu de déportés ou de victimes de la Seconde guerre dans ma famille – j’ai fait des recherches à force qu’on me pose la question.
    J’ai par contre eu un grand-père résistant F.T.P.F. en Ardèche, qui a ensuite participé aux combats du Vercors. Hélas, il ne m’a pas parlé de ses actions, d’autant que j’étais trop jeune pour lui poser des questions…

 
Que conseilles-tu aux personnes qui voudraient faire de la recherche comme toi ?

    N’étant pas historienne il m’apparaît toujours un peu délicat de répondre à ce genre de questions, mais je peux au moins évoquer ce qui, de par mon expérience personnelle, m’apparaît indispensable :

    1°) Rester ouvert aux documents, les relire encore et encore... J’ai souvent commencé mes recherches par les a priori transmis oralement ou même dans des livres, puis on avance, on re-parcourt les archives et témoignages et on s’aperçoit que cela ne tient pas. C’est ce qu’il m’est arrivé pour Georges MATHIEU par exemple, dont tout le monde s’accordait à dire ou à écrire qu’il était résistant mais avait choisi de collaborer pour sauver sa compagne, enceinte. Or, en s’y penchant, beaucoup d’éléments paraissent troublants et semblent contredire la version officielle.

    2°) Mettre des guillemets pour les citations (qu’il s’agisse d’archives ou de livres), et bien entendu : citer toutes ses sources. Ne pas hésiter à dire aussi quand on ne sait pas, quand cela reste indéterminé.  Parfois, on ne possède pas tous les documents, témoignages, reculs… Pour la Poterne, je m’étais alignée sur le chiffre d’Eugène MARTRES qui me semblait le plus réaliste et probant, d’un allemand mort suite à l’attentat des F.T.P.F.… Mais mes recherches ne m’avaient pas permis de le retrouver. C’est Christophe GRÉGOIRE qui y est parvenu il y a trois ou quatre ans (de mémoire).
    On pose souvent un jalon qui sera (on l’espère !) repris par quelqu’un… et la vérité se cueille quelquefois très lentement, et pas à pas.

    3°) Enfin, bannir toute forme de politique « politicienne », à savoir : ne donner que la moitié d’une information, effacer, minimiser, ou embellir, idéaliser des faits… pour ne pas fâcher ou au contraire pour faire plaisir. La vérité historique me paraît  souvent inatteignable dans son entièreté, mais pour s’en rapprocher au maximum, il me semble qu’on se doit de rester honnête et de pratiquer ses recherches de manière impartiale - et sans jugement. D’autant que nous n’y étions pas, après tout !
 

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