Les nourrices de Paris

Publié le par Henri-Ferreol BILLY

J'ai été contacté au sujet d'un livre paru récemment. Et comme je suis sympa, j'ai accepté d'en faire une présentation.

Ce livre, nommé "Au sein de Paris" est consacré aux nourrices. parisiennes. Celles et ceux qui font de la généalogie ont forcément, peut-être sans le savoir croisé la trace des nourrices. Au sein de ma généalogie j'ai pu en croiser quelques traces. Le premier enfant de mon ancêtre "Baptiste" né à Clermont-Ferrand en 1857 décède en nourrice quelques mois plus tard. Son oncle Antoine perd un de ses fils en nourrice en 1852 dans les Bouches-du-Rhône. Tous deux ne roulaient pourtant par sur l'or, pourtant la mise en nourrice était une pratique très répandue.

Mais sur le sujet, laissons la parole à l'auteur de "Au sein de Paris" au fil de quelques questions :

-pouvez-vous vous présenter ?

Christian De la Hubaudière : retraité de l’Education nationale, chercheur, écrivain et conférencier depuis plus de 30 ans dans le domaine de l’histoire de la faïence française, je me passionne aussi, depuis 15 ans, pour le sort de l’enfance sous l’Ancien Régime, en me basant sur les registres d’état civil, loin des clichés communs. J’ai enseigné bénévolement la paléographie au sein de clubs de généalogie dans l’Orne.

 

-pourquoi avoir fait des recherches sur la thématique des nourrices ?

CDLH : C’est en étudiant, dans les registres paroissiaux, le personnel de la seule faïencerie de Basse-Normandie au XVIIIe siècle, près d’Alençon, que je trouve de nombreux actes de décès de nourrissons parisiens, souvent nés moins d’un mois plus tôt à Paris, parfois à peine une semaine. Immédiatement, cela pose des questions d’ordre pratique : qui les a apportés, pourquoi, par quel moyen, quelle durée de trajet, quel temps en nourrice, quelle façon de payer celles-ci tous les mois, quel niveau social tant des parents que des nourrices,… ? Et beaucoup d’autres. Le dépouillement systématique de paroisses voisines montre qu’il ne s’agit pas d’un phénomène isolé, mais d’un véritable système institutionnel, dont l’histoire semble avoir perdu la mémoire : les universitaires contactés ignoraient le sujet. Grâce au rapprochement des actes, c’est toute une organisation que l’on découvre. De même, on se rend compte qu’un second réseau se structure, celui des enfants « exposés » ou « abandonnés », plus organisé qu’il n’y paraît au premier abord.

D’autre part, la collecte des actes de décès parsemés dans les registres permet, quand le curé est soigneux, de réunir beaucoup d’éléments conduisant à la reconstitution des familles parisiennes, en particulier pour la période des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles avant 1860, dont l’état civil est parti en fumée sous la Commune. Cela autorise une nouvelle vision du statut de la femme parisienne à travers, entre autres, ses divers métiers. De même, la femme rurale peut être vue sous un jour nouveau.

-quelle a été votre méthode de travail ?

CDLH : Le recensement de ces actes et les renseignements qu’ils contiennent permettent de retracer les grandes routes empruntées par les convois, tout le long desquelles meurent des nourrissons partis de Paris. Bien souvent, dans ce cas, sont indiqués les noms des nourrices et ceux de leur village, dont on peut dépouiller les actes de décès avec de grandes chances de succès. La zone d’envoi de ces petits s’élargit tout au long du XVIIIe siècle, jusqu’à 300 km tout autour de Paris avant la Révolution. Le XIXe siècle verra se mettre en place d’autres stratégies, d’autres moyens de transport, d’autres techniques et organisations, une autre histoire. Le classement informatique, en nombreuses colonnes, des renseignements fournis donne lieu à autant de sujets d’étude, avec la méthode de l’histoire quantitative qui pointe les continuités et les ruptures. Leur observation suscite souvent de nouvelles pistes de recherches, par croisement de données.

 

-en quoi votre démarche est-elle singulière ?

CDLH : Les études universitaires s’appuient en général sur des documents conservés en archives, réunis en un lieu ou en un fonds plus ou moins épais. Ici, il faut se créer, préalablement à toute étude sérieuse, sa propre documentation en dépouillant les registres paroissiaux ou d’état civil à travers des millions d’actes non concernés. Des doctorants n’en auraient pas le temps matériel. C’est pourquoi, cette tâche dépassant largement la capacité d’une vie, je lance l’appel à des clubs généalogiques dont les membres seraient disposés à relever les actes qu’ils rencontrent forcément au cours de leurs recherches personnelles. Cette démarche déjà entreprise il y a une dizaine d’années m’a offert environ 40 000 actes du XIXe siècle, grâce aux clubs du Perche-Gouët, du Loiret, de l’Yonne… De mon côté, tout en dépouillant, je relève les décès d’adultes morts « en passant » venus d’autres régions et que les descendants ne trouveraient jamais. Je les publie à part sur mon site www.tousauparadis.com. C’est un échange entre généalogistes chercheurs.

Mon roman « Au Sein de Paris » fait le point de mes connaissances sur une période et un secteur donnés, mais autres temps, de même qu’autres cieux, autres mœurs : l’industrie du nourrisson parisien reflète l’organisation de la société et évolue avec elle. C’est une très vaste étude qui s’offre aux chercheurs, dans les branches de l’économie, de la religion, de la morale, de la démographie, de la politique, etc...

Publié dans Histoire, Généalogie

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